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Le multiculturalisme redéfini? (#178)

I’ll translate my post into English in the next post. 

Souvent je parcours rapidement des livres de société ou politique (de toutes couleurs politiques dois-je dire).

Par curiosité, je feuilletais le nouveau livre de Justin Trudeau, « Terrain d’entente » (j’étais fort curieux du contenu d’une biographie si épaise, lorsqu’on constate que Trudeau n’a que 43 ans).   Je l’ai lu en français, alors les références que j’offre ci-dessous seront en français.

Il y avait plus qu’une chose dedans qui m’a fait lever un sourcil.  Mais, un sujet en particulier a attiré mon attention plus que tout autre – celui de la définition à Justin Trudeau de ce qui constitue le multiculturalisme (ce qui sera fort probablement une définition adoptée par un gouvernement fédéral libéral si jamais ils seront élus – car J-T est leur chef malgré tout).

D’abord, il faut dire qu’au Québec on « pratique » (ou du moins on prêche) la notion de l’interculturalisme.  Au Canada, au niveau fédéral et sur le plan « juridique », c’est le multiculturalisme qui prime.  Honnêtement parlant, sur l’échelle mondiale de 1 à 100, la différence entre le multiculturalisme fédéral et l’interculturalisme québécois ne serait pas plus grande qu’un 83.4 versus un 84.9.  Et je dis ceci avec l’expérience derrière moi d’avoir été moi-même un immigrant dans un pays autre que le Canada pendant un bout de temps.  À cette époque-là, moi j’étais subi à des notions de conformité et de “projections culturelles de la majorité” envers les immigrants qui étaient accueillis par cet autre pays-là.   Après cette expérience, je vous dis sincèrement que la différence entre ces deux concepts dont on parle au Canada n’est pas aussi grande que voudrait bien nous le faire croire certains camps politiques et certains aspects de la société au Québec.

Mais étant donné les dynamiques et débats partisans au cours des 40 dernières années, le sujet du multiculturalisme versus l’interculturalisme est devenu hautement politique, au point que l’on pourrait croire que la différence serait 60 contre 90 sur l’échelle mondiale de 1 à 100 (plutôt qu’un 83.4 versus un 84.9).   Mais la réalité et l’intensité du débat (ce qui s’est envolé bien au-delà des faits) a fait en sorte que la mince fissure de 1.5 points est devenue un écart symbolique et abstrait (et sans fondement dois-je dire) de 30 points.   Peu importe, ce gonflage et distorsion de l’ampleur de la différence entre les deux idéologies est maintenant la réalité à laquelle nous devons faire face (que ce soit les Canadiens hors Québec, les Québécois, ou même certains camps quand ils se chicanent entre eux dans chacune des deux juridictions respectives).

Cela me ramène à la définition du multiculturalisme et celle que nous offre Justin Trudeau.  Sa définition à lui en est une que je n’ai jamais vu auparavant.   Si je ne me trompe pas, j’ose même dire qu’il est en train de redéfinir, voire moderniser le concept de multiculturalisme qui date déjà des débats des années 1970 et 1980.    Mais ce qui m’intrigue énormément, c’est qu’en redéfinissant le multiculturalisme, il existe la possibilité qu’il pourrait combler le fossé idéologique entre les vieilles définitions du multiculturalisme fédérale et l’interculturalisme québécois (et par défaut, c’est une définition qui pourrait combler les chicanes et tensions entre ceux qui tiennent les flambeaux des deux).   D’ailleurs, je ne suis pas loin de penser qu’il ait pu trouver moyen de concilier et d’harmoniser ces deux concepts dans une seule définition qui pourrait marcher et pour le Canada, et pour le Québec, selon leurs propres besoins, et selon les besoins des deux camps adhérents.   Cette redéfinition est une pensée et une possibilité fascinante.

Souvent, quand on parle de ces concepts, on parle de leur impact sur la première génération d’immigrants – alors gardons cette idée à l’esprit lorsque vous lisez le reste de ce billet.

Avant de continuer, je veux réitérer que je ne suis pas en train de prendre une position politique.  Je lisais ce livre tout comme je lirais un livre sur Bernard Landry, Brian Mulroney ou Jack Layton.  Mais puisque Justin Trudeau, sur un sujet primordial telle la définition même du multiculturalisme, semble se démarquer dans un sens très différent de celui de son père, j’ai dû relire ce texte plus que deux fois.

Le voici ce qu’il dit:


A.  Charte des droits et libertés p.218 (version française du livre)

C’est le document qui constitue le fondement des droits dont nous jouissons tous, y compris la libre pratique religieuse.  Ces droits qui vous protègent donnent aussi aux gais le droit de se marier et à vos filles le droit d’épouser un non-musulman.  Elle protège les libertés de tout le monde.  On ne peut pas choisir les droits qui nous conviennent et ignorer ceux qu’on n’aime pas.

B.  Multiculturalisme p. 220 (version française du livre)

C’est la présomption selon laquelle la société acceptera les formes d’expression culturelle qui n’enfreignent pas les valeurs fondamentales de notre société.  Cela inclue le droit pour un Juif de porter sa kippa, un sikh son turban, une musulmane son voile ou un chrétien sa croix, même s’ils sont fonctionnaires de l’État.

La meilleure façon d’envisager le multiculturalisme, c’est de le voir comme une sorte de contrat social.  En vertu de ce contrat, les nouveaux arrivants promettent

  1. d’obéir à nos lois,
  2. d’enseigner à leurs enfants
    1. les compétences et
    2. le niveau de langue

nécessaires pour s’intégrer à notre société, et

  1. de respecter, sinon d’adopter immédiatement, les normes sociales qui régissent les relations entre
    1. les individus et
    2. les groupes au Canada.

En échange, nous respectons les aspects de leur culture qui

  1. leur sont chers et
  2. ne nuisent à personne.

Forcer un joueur de soccer de neuf ans à retirer son turban, renvoyer une éducatrice en garderie parce qu’elle porte un hijab, interdire l’accès au bloc opératoire à un cardiologue parce qu’il porte une kippa : voilà des gestes qui ne respectent pas notre part du contrat social.  Pas plus que les gestes qui vont à l’encontre de nos lois.

Le Canada est peut-être le seul pays au monde à être fort en raison de sa diversité et non en dépit de celle-ci.  La diversité est à la base de ce que nous sommes, de ce qui fait la prospérité de notre pays.

C’est pourquoi il faut promouvoir la Charte des droits et libertés.  Notre ouverture à la diversité est au cœur de ce qui fait de nous des Canadiens.  C’est ce qui fait du Canada un des endroits les plus libres du monde, une des meilleures places où vivre.


Mes commentaires : Tout ce qui n’est pas en bleu traite en grande partie au concept du multiculturalisme tel qu’on le connaît actuellement.  Mais si je ne me trompe pas (et je ne suis pas expert là-dessus), je croyais que tout ce qui est en bleu est davantage associé à l’interculturalisme :

  • le fait que les immigrants doivent adhérer aux valeurs de la société (je parle de valeurs qui, par leur nature même, sont transitoires et variables avec le temps — je ne parle pas de droits, qui sont invariables),
  • le fait que les immigrants doivent enseigner la langue (le français) à leurs enfants,
  • qu’ils doivent s’intégrer en s’en servant de certains outils, tels la langue de société (ce qui est le français au Québec, et une combinaison des deux ailleurs, parfois l’anglais dans certaines régions, parfois le français dans d’autres, et parfois une combinaison des deux sous autres prétextes).  Le mot “société” serait le mot clé, car la langue de “société” varie d’une région à une autre, et J-T ramène cette question de langue directement à la “société (ce qui pourrait être la société en Acadie, à St-Jean-Baptiste au Manitoba, au Québec, à Hearst en Ontario, etc.).
  • le fait de s’engager dans une sorte de contrat social si on veut vivre au Canada — un “échange” contractuel en sortes (“échange” est le mot employé par J-T, pas par moi).  Contrairement à ce qu’on est en train de lire, le multiculturalisme de P.E. Trudeau père n’avait pas de “conditions” de société définies au préalable, hormis au niveau de la sélection d’immigrants, et certainement pas du genre qui relèvent au « comportement individuel » pour le moins dire.
  • le fait que ceux qui proviennent de cultures différentes doivent faire des « promesses » sur les enjeux de société, telles les « normes sociales » (imaginez son importance si cela inclurait les normes réputées acceptables selon la « région » ou la « province » où on vit — car nos normes sociales varient d’une région à une autre, autant qu’elles puissent être similaires).
  • Et sur ce dernier point, les immigrants doivent adopter ces normes « immédiatement » (c’est un mot lourd!).
  • Les normes qu’adoptent les immigrants doivent avoir rapport aux normes sociales entre « groupes » (est-ce qu’on considère des anglophones et francophones comme groupes? Si oui, les implications pourraient être grandes).

Voyez-vous maintenant pourquoi ses propos me laissent un peu sidérés?  Ce ne sont pas des mots prononcés par biais d’un discours oral.  Ce sont des mots maintenant écris noir et blanc sur des pages publiées et distribuées d’un océan à l’autre dans un texte écris par J-T.  Je ne dis pas que je suis d’accord ou en désaccord avec ce qu’il dit.   Je dis tout simplement que c’est un virage – un virage qui n’a pas manqué de me surprendre (car cela me laisse croire maintenant que la définition en vigeur n’ést pas la vache sacrée que l’on croyait qu’elle était).

Au premier abord, son socio-contractualisme culturel, ou multiculturalisme renouvelé, ou inter-multiculturalism (peu importe le nom que vous voudriez l’y attribuer) garde toujours les principaux traits du multiculturalisme tel qu’on le connaît (c’est à dire, le Canada vous laisse vivre votre vie tranquille, et au cours du temps il vous aide à s’intégrer à la société à votre rythme et à votre façon, mais avec un coup de pouce de temps en temps pour se hâter un peu).

Pourtant, J-T semble ouvrir la voie à des aspects d’une intégration « préétablie », selon les normes et le contexte de l’environnement dans laquelle une personne se trouve au pays.  Il leur donne des obligations envers ces normes et les groupes de personnes qui forment déjà la société, et envers ceux avec qui ils doivent cohabiter.  Ce sont ces deux dernières phrases qui conforment aux prescriptions de l’interculturalisme (tel le genre qui est susceptible d’être pratiqué par le Québec).   J’admets que cette redéfinition n’est pas la charte des valeurs québécoises proposée en avril 2014… mais le Québec n’était pas prêt ou confortable, comme société elle-même, d’adopter une telle charte au nom de l’interculturalisme (on a tous vu comment cette proposition s’est implosée sur elle même au Québec lors des débats publics là-dessus).  J-T n’est pas en train de proposer une définition reliée à la charte.  C’est une autre voie qu’il prend, qui du moins semble combler la vide.

Bien sûr, il existe des nuances dans la définition à J-T, et je généralise dans mes analyses.   Il faut de toute évidence prendre en compte des définitions juridiques, mais cela n’empêche pas un réalignement des pratiques si un gouvernement quelconque le veut (malgré tout, combien de fois avons nous entendu l’argument que la fédération pourrait changer, et est en train de changer, sans le besoin de rouvrir le débat constitutionnel… un changement en dépit de la constitution si vous voulez).

On vit dans une société en pleine évolution – et les lois et les définitions qui rédigent notre société changent avec le temps pour refléter les changements et les besoins de la société.  Ce dernier point est un concept juridique qui s’appelle « l’arbre vivant ».  C’est pourquoi la cour suprême pourrait juger que la loi qui interdit le droit de mourir, la prostitution ou le mariage gai est légale en année X, mais quelques années plus tard la même cour pourrait juger ces mêmes lois invalides.   On constate cette évolution car elle découle justement des changements au niveau des attitudes et pratiques de la société.  On serait fou de croire que le multiculturalisme lui-même ne changerait jamais (imaginez si on avait toujours des lois en vigeur des années 1920 ou 1930 pour dicter comment les citoyens devrait se comporter l’un à l’autre!).  Je me demande si Justin Trudeau est en train de prendre position que la définition du multiculturalisme des années 1970 et 1980 doit également évoluer dans le contexte d’un pays qui n’est plus le même qu’il l’était à cette époque-là.

Comme j’ai dit, il y existe des définitions qui doivent d’abord être clarifiées avant de prétendre quoi qu’il en soit.   Mes questions :

  1. Quelle est la définition, en détail, de chaque mot que j’ai souligné, tels :
    1. Valeurs fondamentales?
    2. Nouveaux arrivants qui font une promesse?
    3. Normes sociales?
    4. Les chers aspects de la culture?
    5. Les aspects de la culture qui ne nuisent à personne?
  1. Quelle est la définition, en détail, de chaque mot que j’ai souligné tel :
    1. S’enfreindre?
      1. À qui?
      2. À quoi?
      3. Sous présomption de quel biais?
      4. Sous quel prétexte?
    2. Obéir?
    3. D’enseigner à leurs enfants?
    4. S’intégrer?
    5. Respecter?
    6. Adopter?
  1. Quelle est la signifiance, en détail, de chaque mot en noir foncé tels :
    1. La présomption?
    2. Un contrat social?
    3. Promettre?
    4. Compétences?
    5. Niveau de langue?
    6. Immédiatement?
    7. Individus?
    8. Groupes?
    9. En échange?
  1. Les réponses à l’ensemble des questions 1, 2 & 3 dérivent-elles de l’idéologie du multiculturalisme original des années 1980 ou même depuis la perte de pouvoir des libéraux aux conservateurs à la scène fédérale dans les années 2000?

Est-ce que je suis complètement dans le champ quand je dis qu’il semble que Justin Trudeau fait demi-tour avec sa nouvelle définition? (ou même un tour quelconque?)

Il reste à voir si les médias auront leur mot à dire sur les détails.  Jusqu’à présent, ils semblent n’avoir pas encore pris conscience de ce que J-T est en train de proposer.

Peu importe ce que l’on pense du sujet, ce mariage (ou rapprochement) possible des deux concepts du multi- versus l’inter-culturalisme pourrait générer de bonnes discussions.

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COMPLETE SERIES:  MULTICULTURALISM AND INTERCULTURALISM (8 POSTS)

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